Savoureux extrait de la soixante-neuvième lettre cabalistique
* pour illustrer cet étal de boutons sur un marché.
« La folie de la troisième femme qu'on me montra, était encore plus singulière que celle de la seconde. Sa fantaisie était de baiser le bouton de la culotte de tous les Révérends Pères Jésuites
qu'elle rencontrait. En eût-elle trouvé un chez le Pape, au lieu de courir à la pantoufle du Saint-Père, elle eût été se prosterner devant la culotte de l'Ignacien. Elle se figurait qu'il y avait
autant de vertu dans toutes celles de ces Révérends Pères, que dans les Reliques les plus opérantes. Si cette Dévote fût née dans le Royaume de Golconde, ou dans celui de Bisnagar, il lui eût été
permis de baiser non seulement le bouton de la culotte, mais encore bien d'autres pièces. Les Faquirs, ou Jésuites Golcondois sont fort accoutumés à recevoir de ces baisers si extravagants en
Europe. Les Auteurs nous apprennent
qu'on voit les Dévotes venir baiser à ces Faquirs les parties du corps, les plus cachées, sans que pour cela ils détournent tant soit peu les yeux. Je
ne voudrais pas jurer que si cette mode s'établissait en Europe, les Moines y eussent autant de gravité. Plus d'un Cordelier lorgnerait tendrement la dévote Baiseuse, & malheur à celles qui
auraient des lunettes ; car on verrait bien souvent arriver le cas dont l'ingénieux la Fontaine a fait le sujet d'un de ses Contes,
** & qui causa la perte
des Besicles de la vieille Abbesse. »
* Lettres cabalistiques ou Correspondance philosophique, historique et critique, entre deux Cabalisties, divers Esprits élémentaires, & le Seigneur Astaroth ;
nouvelle édition, augmentée de nouvelles lettres & de quantité de remarques – La Haye, 1766.
J'ai rafraîchi l'orthographe, sauf pour faquir qui me plaît dans cet habit.
Les Lettres persanes sont parues en 1721, à Amsterdam.
** Les Lunettes, dans les Nouveaux Contes.