• Chipons de la graisse d'oie

    Sur le site Gallica.bnf.fr, la BNF met à disposition un grand nombre de journaux de tranchées.
    Lu dans Le Petit Écho en campagne : organe des typos du Petit Écho de la mode, du 17 novembre 1918

     

    Le Fusil

     

    Journal des tranchées

    Le Fusil est un être masculin et singulier. Sa physionomie est plutôt grotesque. Il n'a, pour tout visage qu'un nez effilé démesurément long.

    Le bout de son nez est surmonté d'une toute petite verrue que les mauvaises langues appellent le point de mire.

    Comme toutes les personnes laides, le Fusil est acariâtre et prompt à la colère : il s'emporte très facilement.

    Violent et vindicatif, il a le plus profond dédain pour les théories humanitaires et pacifistes, Il se moque de la Conférence de La Haye. Il lui faut, à LUI, de la poudre et des balles.

    Le Fusil, quoique d'un caractère grossier, jouit d'une certaine intelligence. Il ne manque pas de portée.

    Le Fusil est affligé, à l'état chronique, de la manie des voyages : à la moindre occasion, à la plus légère secousse, il part.

    Fait curieux à noter: il part constamment, mais on n'entend jamais dire qu'il revient.

    Le Fusil, à la fois belliqueux et craintif, sort toujours armé jusqu'aux dents. Il porte un canon sur lui.

    Il est sans cesse accompagné de deux chiens fidèles d'une race spéciale et étrange : le chien du fusil est en effet, un animal à part.

    La tenue du Fusil est indécente et scandaleuse, Il sort tout nu, avec simplement une bretelle qui ne fait que souligner l'absence du pantalon.

    Le Fusil a des tendances très nettement cléricales.

    Des personnes particulièrement bien informées affirment même qu'il est prélat romain. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il dispose de certains attributs épiscopaux, et s'il n'a pas de mitre, du moins a-t-il la crosse.

    Le Fusil a généralement une fin misérable et triste. Fatigué de tuer, bourrelé de remords pour tous les meurtres qu'il a commis, Il devient taciturne et sombre sur ses vieux jours.

    L'idée du suicide l'obsède et on le trouve, un beau matin, inerte et froid, pendu à un clou.

    Maurice PRAX

    L'illustration provient de la Gazette des Cormon, Collin, Flameng et des ateliers de gravure (1.09.1917)

    Note à propos du titre du billet
    Dans le poème de Max Jacob, Madame la Dauphine :
    Chipons de la graisse d'oie
    pour en faire des canons

     

    « Et si ça continue, on verra...Sale temps pour les oiseaux »

  • Commentaires

    1
    Samedi 11 Novembre 2023 à 08:19

    Une perle. (et gravure excellente)

      • Dimanche 12 Novembre 2023 à 20:41

        Je partage ton avis.

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    2
    Samedi 11 Novembre 2023 à 09:27

    une bonne description ... et que dire des engins dont il a été l'initiateur....

    signé : un objecteur

      • Dimanche 12 Novembre 2023 à 20:42

        Ah s'il pouvait rester pendu à son clou.

    3
    Samedi 11 Novembre 2023 à 09:36

    Voilà un texte remarquable qui devrait démoraliser toutes les armées du monde... Chapeau Maurice !...

      • Dimanche 12 Novembre 2023 à 21:08

        On peut lire sur gallica.bnf.fr un extrait du livre de Maurice Prac : Le browning et l'amour : petit précis du meurtre passionnel et parisien ; suivi du Manuel du parfait automobiliste,  E. Flammarion ,1928

        Le chapitre I commence ainsi :

        « APOLOGIE DU MEURTRE PASSIONNEL

        Il semble à peu près certain que l'invention de l'amour est bien antérieure à celle du revolver...

        C'est pourquoi, du reste, le globe se trouve affligé et encombré d'un genre qui est, à coup sûr, le comble du mauvais genre :
        le genre humain...

        On peut affirmer ainsi, et de façon absolue, que notre bon vieux père Adam et que notre excellente mère Ève n'avaient pas de
        revolver à leur disposition, au paradis terrestre... (Notons en passant que la légende du paradis terrestre est une folle légende...
        Veut-on qu'il y ait eu un paradis terrestre en un temps où il n'y avait ni confort moderne, ni vieille cuisine française, ni sleeping, ni auto, ni T. S. F.., ni Haut-Brion, ni bas de soie, — ni même Mlle Mistinguett...)

        Si l'irrégulier ménage Adam-Ève avait possédé le moindre browning, il tombe sous le sens qu'un joli petit drame de la jalousie
        aurait immédiatement et radicalement séparé l'amant de sa concubine.

        Les conséquences de ce drame, faut-il le dire, auraient été considérables...

        Il n'y aurait pas eu d'humanité... Il n'y aurait donc pas eu besoin par la suite de revolvers...»

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