détail d'une affiche

Si on ne nous disait pas que l'article est signé Gaston de Pawlowski, on jurerait que c'est du Jean (l'astuce) Bertrand.

« Malgré toutes les précautions prises par nos voisins et futurs alliés les Italiens pour dissimuler soigneusement leur curieuse invention, on commence à parler un peu partout, à mots couverts, de la nouvelle anitra di guerra que l'on envoie par quantité en Tripolitaine pour combattre les Turcs. Cette invention est très certainement la plus surprenante et la plus caractéristique des temps modernes. Après s'être inspirés du vol des oiseaux pour mettre au point l'aviation, voici que les inventeurs s'inspirent maintenant des récentes découvertes de l'aviation pour transformer les oiseaux en auxiliaires utiles et dangereux, l'anitra di guerra ou canard de guerre, est un canard sauvage de l'espèce la plus robuste que l'on nourrit savamment, durant plusieurs semaines, avec du salpêtre, de la brique pilée, de la glycérine et du chlorate de potasse. Le canard vorace, s'accommode volontiers de cette alimentation qui doit être soigneusement dosée par d'habiles chimistes. Le canard de guerre est alors expédié sur le champ de bataille, dans des caisses étroites qui lui interdisent tout mouvement, puis lâché dans la direction de l'ennemi. Le canard, ou, pour tout dire, la cane de guerre, s'envole alors au-dessus de l'armée qu'il s'agit de combattre et, au moment où elle passe au-dessus d'elle, son émotion bien compréhensible provoque la sortie des œufs comprimés depuis son départ. Ces œufs, ai-je besoin de le dire, grâce à l'alimentation préalable subie par le canard, constituent de terribles explosifs qui, en tombant sur le sol, font les plus effrayants ravages dans les rangs ennemis, exactement comme le ferait une bombe lancée par un aéroplane. On a calculé qu'une bande de canes de guerre, lâchée au moment voulu, pouvait anéantir en trente-cinq secondes sept cents cavaliers ennemis. Le secret de cette curieuse invention réside tout entier dans le dosage de l'alimentation. Il ne tardera pas à être découvert par tous ceux qui s'occupent d'aviation militaire. Ajoutons enfin que si, par hasard, le mélange n'est pas explosif, il resterait toujours pour l'armée ennemie l'humiliation de recevoir sur la tête des œufs de qualité douteuse. »

Gaston de Pawlowski, Inventions nouvelles et dernières nouveautés, Fasquelle, 1916